Chapitre - Crise ou mutation des États-providence
L’objet de cette dernière partie est d’apporter un éclairage complémentaire sur la période actuelle et sur les principales tendances sociologiques concernant les relations entre l’État et la société. De ce point de vue, il s’agit d’un simple prolongement chronologique des deux parties précédentes. Cependant, s’il y a lieu de dissocier la période des dernières décennies du cours de l’histoire séculaire des États-providence, c’est parce que cette période est marquée par une controverse de grande ampleur, à la fois durable et internationale, sur le devenir de l’État-providence. On parle couramment, à partir de la fin des années 1970, dans les milieux de spécialistes et dans les mass-médias, de « crise » de l’État-providence.
Du point de vue de la science politique, l’idée de « crise » de l’État-providence ne peut pas être adoptée sans un examen préalable de ses conditions. Qui parle de cette « crise » ? Avec quels intérêts sociaux et quelles finalités politiques ? Comment se diffuse cette idée ? Fait-elle aujourd’hui consensus ? À cette dernière question, la réponse est objectivement négative. Tout le monde ne s’accorde pas sur l’existence et la réalité de cette crise. Tout le monde ne s’accorde pas sur l’interprétation des évolutions que connaît ce phénomène historique.
Ce constat, qui sera largement étayé par la suite, amène donc à s’interroger sur la pertinence même du mot « crise ». Peut-on parler de « crise » de l’État-providence ? L’enjeu principal de cette réflexion concerne le sort actuel, et éventuellement le devenir, de l’État-providence. S’agit-il d’une crise de l’État-providence ou d’une crise de la société dans laquelle cette forme d’État intervient ?
S’agit-il d’une crise qui met en péril l’État-providence ou d’un moment de mutation de cette forme d’État ?
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Section - Le diagnostic de « crise » de l’État-providence
Tout le monde s’accorde sur au moins un point : la période concernée par cette discussion sur la « crise » de l’État-providence, c’est-à-dire les deux ou trois dernières décennies, est profondément marquée par le développement d’une crise économique de longue durée qui affecte non seulement les situations matérielles des individus mais également leurs modes de pensée et même, sous certains aspects, leur culture (Cf. évolutions du théâtre, de la mode, des arts plastiques, etc., pendant les crises et en sortie de crise) notamment en ce qui concerne le rôle de l’État dans la société. La relation entre crise économique et crise de l’État-providence est directe dans les critiques politiques et économiques néo-libérales et néo-social-démocrates de l’État-providence (Cf. Sous-section - Critiques économiques et politiques de l’État-providence (« néo-libéralisme », « troisième voie »...)) mais nous verrons qu’elle est aussi sous-jacente à toute l’analyse sociologique que fait un Pierre Rosanvallon de cette crise de l’État-providence (Cf. Sous-section - Un point de vue sociologique français : les analyses de Pierre Rosanvallon) et qu’elle aboutit à une remise en cause de la manière de gouverner : on parle alors d’une crise de la gouvernabilité que certains voient se résoudre dans l’émergence d’une nouvelle « gouvernance » en rupture avec celle qui aurait caractérisé l’ère de l’État-providence (Cf. Sous-section - Crise de gouvernabilité des États-providence et nouvelle gouvernance de ses politiques publiques).
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Sous-section - Critiques économiques et politiques de l’État-providence (« néolibéralisme », « troisième voie »...)
C’est dans ce contexte de crise économique que s’opère (notamment au milieu des années 1980) ce que Bruno Jobert nomme « le tournant néo-libéral » 1, parfaitement illustré en Grande-Bretagne par les politiques de Margaret Thatcher mais qui s’observe en fait dans à peu près tous les pays occidentaux (Cf. Segment - Le tournant néolibéral). Néanmoins, un deuxième mouvement moins connu et moins étudié que le précédent a lieu en contre-coup et plus tardivement (au milieu des années 1990) dans l’espace idéologique, traditionnellement anti-libéral, de la social-démocratie : c’est la « troisième voie » souvent identifiée aux programmes britanniques de Tony Blair 2 mais qui s’observe également dans le reste de l’Europe (Cf. Segment - La « troisième voie » : adaptation sociale-démocrate).
1 Bruno Jobert, Le tournant néo-libéral, L’Harmattan, 1993.
2 Tony Blair et Anthony Giddens, La troisième voie. Le renouveau de la social-démocratie, Éditions du Seuil, 2002.
- Segment - Le tournant néolibéral
A. En cours de rédaction - II. En cours d’éditorialisation - - Segment - La « troisième voie » : adaptation sociale-démocrate
A. En cours de rédaction - II. En cours d’éditorialisation -
- Segment - Le tournant néolibéral
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Sous-section - Un point de vue sociologique français : les analyses de Pierre Rosanvallon
Développée par Pierre Rosanvallon dans son livre La crise de l’État-providence 1, cette approche fait ressortir trois facteurs de déstabilisation actuelle de l’État-providence : la mise en cause des finalités poursuivies traditionnellement par cette forme d’État, l’apparition des limites dans la capacité de l’État-providence à produire de la solidarité, et la mise en cause du modèle théorique sur lequel repose le développement de l’État-providence.
1 Pierre Rosanvallon, La crise de l’État-providence, Éditions du Seuil, 1981.
- Segment - Doute sur les finalités
A. En cours de rédaction - II. En cours d’éditorialisation - - Segment - Les limites de la solidarité
I. À éditorialiser - A. En cours de rédaction - - Segment - La fin du modèle keynésien
A. En cours de rédaction - II. En cours d’éditorialisation -
- Segment - Doute sur les finalités
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Sous-section - Crise de gouvernabilité des États-providence et nouvelle gouvernance de ses politiques publiques
Plutôt que d’illustrer le diagnostic de crise de l’État-providence par des cas de politiques publiques et la tendance au recul voire au démantèlement d’États-providence (privatisation, déréglementation, référentiel de marché, etc), j’aimerais prolonger la portée de ce diagnostic en vous en présentant une dimension supplémentaire qui concerne précisément les politiques publiques.
Mon point de départ sera un article particulièrement incisif d’un spécialiste de l’État-providence, François-Xavier Merrien, que j’ai déjà souvent utilisé 1. Je compléterai l’analyse à l’aide de mes propres travaux sur le thème de la gouvernance et de sa conceptualisation, notamment en sociologie du droit, en sociologie des organisations et en sociologie des politiques publiques.
1 François-Xavier Merrien, « De la gouvernance et des Etats-providence contemporains », Revue Internationale des Sciences Sociales, #155, mars 1998.
- Segment - « Crise de l’État-providence » et « crise de gouvernabilité »
A. En cours de rédaction - II. En cours d’éditorialisation - - Segment - Une théorie de l’histoire de l’art de gouverner
A. En cours de rédaction - II. En cours d’éditorialisation - - Segment - Les deux gouvernances : la vieille et la moderne
I. À éditorialiser - A. En cours de rédaction -
- Segment - « Crise de l’État-providence » et « crise de gouvernabilité »
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Sous-section - Critiques économiques et politiques de l’État-providence (« néolibéralisme », « troisième voie »...)
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Section - Critiques du diagnostic de crise de l’État-providence ?
Le diagnostic de « crise » de l’État-providence est aujourd’hui largement diffusé et largement dominant dans les modes de pensée des élites économiques, administratives et politiques. C’est aussi devenu un thème extrêmement traité par les sciences sociales.
Nous avons vu, en introduction du chapitre précédent, que tout le monde s’accordait pour situer cette « crise » de l’État-providence dans la période des trois dernières décennies, c’est-à-dire celle de la crise économique. De ce fait, le problème de la relation entre crise économique et crise de l’État-providence passe au premier plan des enjeux d’interprétation : peut-on interpréter cette crise économique comme symptomatique d’une crise de l’État-providence ? (Cf. Sous-section - La crise économique et crise de l’État-providence)
Au-delà de cette première interrogation fondamentale, une autre question se pose sur la ou plutôt les significations de la notion de crise de l’État-providence : cette notion fait-elle l’objet d’une définition consensuelle ? La réponse est clairement négative : tout le monde ne parle pas de la même chose en utilisant cette expression et il faut alors s’attacher à évaluer la pertinence de chaque interprétation (Cf. Sous-section - Hétérogénéité et discussion des diagnostics de crise de l’État-providence).
1 Bruno Jobert, Le tournant néo-libéral, L’Harmattan, 1993.
2 Tony Blair et Anthony Giddens, La troisième voie. Le renouveau de la social-démocratie, Éditions du Seuil, 2002.
3 Pierre Rosanvallon, La crise de l’État-providence, Éditions du Seuil, 1981.
4 François-Xavier Merrien, « De la gouvernance et des Etats-providence contemporains », Revue Internationale des Sciences Sociales, #155, mars 1998.
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Sous-section - La crise économique et crise de l’État-providence
Si l’on retient une définition large de l’État-providence et que l’on fait remonter ainsi sa genèse au début du XIXe siècle, si l’on considère de surcroît que l’industrialisation à la fin de ce XIXe siècle est très largement avancée, notamment du point de vue de la reconfiguration de l’économie et de la société (agriculture/industriel), on peut constater que les États-providence ont déjà traversé deux grandes crises économiques majeures comparables par leur ampleur à celle que nous connaissons aujourd’hui : la grande dépression de la fin du XIXe siècle, entre 1873 et 1895 (Cf. Segment - La dépression de la fin du XIXe siècle (1873-1895)), et la crise économique des années 1930 (Cf. Segment - La crise de 1929).
- Segment - La dépression de la fin du XIXe siècle (1873-1895)
A. En cours de rédaction - I. À éditorialiser - - Segment - La crise de 1929
A. En cours de rédaction - I. À éditorialiser - - Segment - Conclusion
A. En cours de rédaction - I. À éditorialiser -
- Segment - La dépression de la fin du XIXe siècle (1873-1895)
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Sous-section - Hétérogénéité et discussion des diagnostics de crise de l’État-providence
La critique du diagnostic de crise de l’État-providence peut s’amorcer d’abord par un constat : cette notion de crise ne signifie pas la même chose pour tout le monde :
- Certains parlent de « crise » en pensant, sur la base d’une définition restreinte de l’État-providence (État-providence = Sécurité sociale), aux difficultés financières des systèmes de sécurité sociale notamment dans les pays (corporatistes-conservateurs) où ce budget public a été historiquement dissocié du budget général de l’État.
- D’autres parlent de « crise » pour signifier que le modèle de régulation politique caractéristique de l’État-providence (droits généraux, phénomène bureaucratique, régulation keynésienne...) est devenu inefficace dans nos sociétés complexes et doit être abandonné au profit d’un autre.
- D’autres encore parlent de « crise » de l’État-providence pour désigner les attaques idéologiques et les politiques de démantèlement ou restrictions mises en œuvre depuis vingt ans sous l’influence des idées néolibérales ou néo-sociales-démocrates.
- D’autres enfin parlent de crise de l’État-providence pour désigner l’insuffisant développement de l’État-providence et notamment les lacunes de la couverture sociale (l’universalisation inachevée de la protection sociale) et/ou d’intégration sociale (le phénomène de l’exclusion), notamment en ce qui concerne les plus pauvres, les femmes et les immigrés.
Constater cette disparité des significations revient déjà à critiquer, d’un point de vue sociologique, la pertinence de la notion même de crise de l’État-providence. Les quatre positions que je viens d’évoquer peuvent donner le sentiment (erroné) d’un large consensus sur la réalité de cette crise, alors même que ces positions correspondent à des diagnostics et à des prescriptions totalement divergents. L’autre intérêt de ce constat est d’organiser les discussions relatives à ces différentes acceptations de l’idée de crise de l’État-providence. Je vais donc aborder trois questions :
- La crise financière de la sécurité sociale révèle-t-elle celle de l’État-providence ?
- Les valeurs, demandes sociales et théories économiques caractéristiques de la régulation politique de l’État-providence s’effondrent-elles ?
- Les États-providence parviennent-ils à lutter contre les formes de discriminations et d’insécurités sociales ?
- Segment - La crise financière de la sécurité sociale révèle-t-elle celle de l’État-providence ?
A. En cours de rédaction - II. En cours d’éditorialisation - - Segment - Les valeurs, demandes et théories caractéristiques de la gouvernance de l’État-providence s’effondrent-elles ?
A. En cours de rédaction - I. À éditorialiser - - Segment - Les États-providence parviennent-ils à lutter contre les formes de discriminations et d’insécurités sociales ?
A. En cours de rédaction - II. En cours d’éditorialisation -
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Sous-section - La crise économique et crise de l’État-providence