La divergence entre définition étroite et définition large apparaît aussi bien dans les travaux relatifs à l’État-providence que dans ceux qui concernent le domaine des « politiques sociales ».
Une sorte de controverse sourde, souvent implicite, des définitions de l’État-providence se traduit par des choix scientifiques et pédagogiques différents entre les auteurs étudiant les politiques sociales.
- La définition restreinte des politiques sociales se focalise sur les dispositifs de protection sociale et notamment sur les quatre branches de la sécurité sociale : santé, vieillesse, famille, chômage.
Exemple :
- Jacques Bichot, Les politiques sociales en France au XXe siècle, 1997 1.
- Bernard Bonnici, Politiques et protection sociales, 1997 2.
- La définition large étend considérablement le domaine étudié au titre des politiques sociales : ainsi le Traité du social 3 intègre, en plus de ce qui précède, les politiques du travail (relations professionnelles et conditions de travail), les politiques de la consommation, les politiques de l’éducation (formation initiale et formation continue), les politiques du cadre de vie (politiques du logement + politiques de la ville + vie associative et culturelle) et les politiques relatives aux étrangers. Un autre traité plus récent, celui de Marie-Thérèse Join-Lambert et al. 4 intègre les politiques du travail / code du travail (Chapitre 5), les politiques de formation professionnelle continue (Chapitre 9), les politiques de lutte contre la pauvreté (Chapitre 18), les politiques d’intégration des populations immigrées (Chapitre 19), la politique des villes (Chapitre 20).
En ce qui concerne la définition de l’État-providence, chacune des deux définitions peut se défendre :
- La première est proche du sens d’origine en France (péjoratif, critique) et évoque une condition nécessaire pour que l’on parle d’État-providence (présence d’un système de protection sociale).
- Mais la seconde décrit de manière plus complète la réalité actuelle des États-providence dont la logique de développement s’est traduit par l’apparition d’une vaste gamme de politiques sectorielles bien au-delà des seules assurances sociales. Or ces politiques publiques sont étroitement imbriquées tant du point de vue de leurs finalités et de leurs moyens (financiers, juridiques, administratifs...) qu’en ce qui concerne les conditions sociales, culturelles et économiques de leurs genèses respectives. Il y a une dynamique d’ensemble d’expansion des interventions de l’État.
Les travaux de sociologie historique acceptant de prendre en considération des périodes de plusieurs siècles tendent vers une définition large. C’est le cas de la grande étude historique réalisée par Abram de Swaan 5. Il montre que les politiques d’aménagement urbain, d’éducation, d’encadrement sanitaire des populations et de protection sociale stricto sensus sont, ensemble, constitutives de ce qu’est l’État aujourd’hui dans les pays occidentaux. Dans cette perspective, d’autres secteurs comme la culture et l’environnement peuvent aussi être interprétés comme des développements récents de l’État-providence. De même, cette définition large est clairement celle retenue par Gosta Esping-Andersen 6 dans sa grande étude, devenue centrale au cours des vingt dernières années dans les débats internationaux sur l’État-providence : les critères d’évaluation que l’auteur prend en considération (notamment le phénomène de démarchandisation du travail et celui de l’incidence des finances publiques et de l’éducation sur la stratification sociale...) l’amènent à considérer un vaste champ de politiques publiques qui dépasse très largement celui des systèmes d’assurance sociale.
Jérôme VALLUY‚ « Segment - Divergences définitionnelles »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 9 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 96