En allemand comme en français, les notions d’État-providence 1 et de Wohlfahrtsstaat 2 ont un sens spécifique dans l’usage académique qui en est fait par les universitaires dans la deuxième moitié du XXe siècle pour désigner un objet d’étude en sciences sociales ; l’usage est alors moins connoté politiquement que par le passé. Il perd (dans ce périmètre académique) son caractère polémique (sans le perdre dans l’espace public) et se trouve être plus proche, par certains aspects, de la notion récente en langue anglaise de Welfare State 3 apparue avec plus de consensus politiques, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale.
L’édification de l’État-providence correspond à un phénomène social pluriséculaire qui détermine de manière fondamentale ce qu’est l’État aujourd’hui. Pourtant ce phénomène n’est bien analysé dans la recherche en sciences sociales que depuis quelques décennies sans doute en relation avec la professionnalisation des chercheurs dans les systèmes publics d’enseignement supérieur et de recherche. Il serait vain de vouloir faire une présentation exhaustive des recherches internationales sur le domaine depuis cinquante ans, mais quelques repères chronologiques et bibliographiques peuvent être utiles.
Une première étape de recherche peut être située dans les années 1960 et 1970 durant lesquelles les chercheurs s’attachent à rendre compte du développement des États-providence à travers diverses variables macro-sociologiques (croissance des dépenses publiques, rôle de l’État dans l’économie, État face à l’industrialisation, etc.) :
- Alan T. Peacock et Jack Wiseman, The Growth of Public Expenditure in the United-Kingdom, 1967 4.
- Gaston Victor Rimlinger, Welfare Policy and Industrialisation in Europe, America and Russia, 1971 5.
- James O’Connor, The Fiscal Crisis of the State, 1973 6.
- Harold Wilensky, The Welfare State and Equality : Structural and Ideological Roots of Public Expenditure, 1974 7.
Une deuxième étape s’amorce au début des années 1980 avec la recherche des déterminants de la genèse de l’État-providence. Les études de sciences sociales sont beaucoup plus nombreuses. Les principales théories explicatives de son émergence sont produites durant cette période :
- Peter Flora et Arnold J. Heidenheimer 8 (dir.), The Development of Welfare States in Europe and America, 1981 9.
- Francis Castles, The Impact of Parties : Politics and Policies in Democratic Capitalist States, 1982 10.
- Douglas E. Ashford, The Emergence of the Welfare States, 1986 11.
Enfin une troisième étape débute au milieu des années 1990 avec un intérêt accru pour les regards comparatifs. Il s’agit moins de situer les pays sur une trajectoire de développement que de les regrouper en fonction de leurs caractéristiques afin de mieux comprendre les logiques de fonctionnement des différents types d’État-providence. Il s’agit aussi d’études liées à l’idée de « crise » de l’État-providence :
- Gosta Esping-Andersen, Les trois mondes de l’État-providence — Essai sur le capitalisme moderne, 1991 (pour l’édition originale) 12.
- Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ?, 1995 13.
Observations
- Le phénomène n’est étudié que depuis peu de temps à l’échelle de l’histoire des sciences sociales.
- Les travaux qui marquent le débat international proviennent du nord de l’Europe (pays scandinaves, Allemagne, Grande-Bretagne) et des États-Unis. Les travaux français (Pierre Rosanvallon 14, François Ewald 15....) occupent tout autant une place plus marginale dans ce débat international qu’en France.
- Les études se multiplient depuis le début des années 1980, c’est-à-dire depuis que l’État-providence est remis en question en ce qui concerne sa légitimité politique et ses effets économiques.
Jérôme VALLUY‚ « Segment - Recherche en sciences sociales »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 9 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 94