Dans la langue allemande, deux notions cohabitent : Sozialstaat (État social) et Wohlfahrtsstaat (État-providence). La première est souvent imputée à une étude célèbre de Lorenz von Stein 1 qui, dès le milieu du XIXe siècle connote positivement le devoir social de l’État à l’égard de la population. Von Stein préfigure (et inspirera) ainsi, en 1850, un courant dit du « socialisme de la chaire », qui sera composé d’universitaires, souvent proche des pouvoirs en place. Ce courant s’exprimera plus fortement encore vingt ans plus tard à la fois à travers les politiques sociales du gouvernement autoritaire bismarckien après la fondation du deuxième Reich allemand (1871 ; cf. Segment - L’Allemagne) et dans les congrès universitaires (Congrès d’Eisenach, 1872 2). Cette notion se développe en parallèle à l’intensification des persécutions politiques de la sociale-démocratie naissante, ouvrière et électoralement menaçante pour les acteurs sociaux, technocratie et milieux d’affaires, qui dominent l’État prussien. La notion de Sozialstaat reflète une pensée d’État, politiquement acceptée par le pouvoir, pour contrebalancer le mouvement ouvrier, lié à l’industrialisation, de la sociale-démocratie. En évoquant la seconde notion, celle de Wohlfahrtsstaat (État-providence), François-Xavier Merrien signale une variation de sens par rapport à la notion française :
La notion allemande de Wohlfaarstaat, qui désigne un État bureaucratique social et paternaliste, ne possède pas le même accent péjoratif.
Cependant l’auteur semble tenir pour équivalentes les deux notions, ce qui n’est pas totalement faux mais discutable : dans son article, peu développé, l’encyclopédie Wikipédia germanophone relaie cette synonymie mais signale aussi une distinction de sens 4. La notion de Sozialstaat évoque les fonctions centrales et réduites de la protection sociale ; c’est effectivement l’expression officielle et presque institutionnellement acceptée depuis plus d’un siècle dans la politique allemande. La notion de Wohlfahrtsstaat renvoie à une vision plus large et plus approfondie de l’intervention de l’État dans la société, qui correspond à la fois à la traduction en allemand du concept anglais de Welfare State et aussi à un signe de distinction sémantique évoquant une définition large de l’État-providence :
Nous entendons inscrire dans la notion de “Wohlfahrtsstaat” non pas seulement les interventions de l’État relatives aux fonctions de correction sociale ou de sauvegarde, mais un ensemble beaucoup plus large d’interventions économiques et sociales tendant à améliorer le bien être social. La “Sozialpolitik” demeure limitée à la protection contre les cinq risques élémentaires de la vie — vieillesse, maladie, chômage, accidents, pauvreté — et, par suite, le “Sozialstaat” se limite à se noyau.
Une divergence de nature politique apparaît entre les deux concepts sur les degrés d’intervention de l’État.
Les termes du débat actuel recouvrent un large spectre d’enjeux, depuis les réformes de la retraite et de la santé en situation de chômage de masse et d’échecs des politiques jusqu’aux questions de justice sociale.
Et l’on voit réapparaître la critique, au sujet du second, des « excès » de l’État-providence sous l’angle, dans la culture allemande, des excès du pouvoir princiers (i.e. : justifiés par la volonté providentielle du prince ou de l’État) amenant à parler d’absolutisme providentiel (Wohlfahrtsabsolutismus) associé dans l’article à l’État-de-police contre lequel ont lutté les théoriciens libéraux, prussiens et autrichiens, de l’État-de-droit depuis le début du XIXe siècle (Cf. Segment - Le contexte doctrinal du Rechtsstaat).
Jérôme VALLUY‚ « Segment - « Sozialstaat » et « Wohlfahrtsstaat » »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 9 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 92