Page du plan détaillé


Navigation par niveau


Navigation par tag


Navigation par EDC


navigation par suivi édito



rechercher un contenu


SECTEUR COURANT DU MANUEL > TEDI - Transformations des États démocratiques industrialisés > Jérôme VALLUY    

Segment - Caractéristiques, origines et fonctions des partis

II. En cours d’éditorialisation
D. Rédaction stable pour relecture collective


SOMMAIRE

Le premier problème à résoudre dans l’étude des partis politiques est celui de leur définition :

  • la frontière entre partis, clubs de réflexion, associations à finalités politiques et groupes de pression n’est jamais complètement étanche ;
  • en outre, les partis politiques, au cours de l’histoire et dans les différents pays et cultures où ils apparaissent, ne se ressemblent pas.

1- Qu’est-ce qu’un parti politique ?

Le terme de parti a pris plusieurs sens au cours de l’histoire. Au Moyen Âge, il a une connotation militaire. Il s’agit d’un détachement d’hommes armés. Au XVIe siècle, il est utilisé de façon plus moderne, assimilable à une faction, un clan, un groupe. Il est perçu comme opposé à un autre groupe, mais également comme quelque chose qui est le produit d’une division (étymologie latine : partager). Au XVIIe siècle, ce sens tend à s’assouplir. le parti devient alors un courant de pensée et ce terme perdure tout au long du XIXe siècle. C’est ainsi qu’on parle du parti monarchique ou républicain, du parti légitimiste ou orléaniste. Ce n’est qu’à la fin du XIXe et début du XXe siècle que le terme prend son sens actuel d’une organisation politique.

1.1- Une définition restrictive (Joseph LaPalombara / Myron Weiner)

Parmi les définitions aujourd’hui les plus acceptées, celle que donnent Joseph LaPalombara et Myron Weiner présente des avantages certains. Pour LaPalombara et Weiner, un parti est :

Une organisation durable, c’est-à-dire une organisation dont l’espérance de vie est supérieure à celle de ses dirigeants en place ; une organisation locale bien établie et apparemment durable, entretenant des rapports réguliers et variés avec l’échelon national. Elle se caractérise en outre par la volonté délibérée des dirigeants nationaux et locaux de l’organisation de prendre et exercer le pouvoir, seuls ou avec d’autres, et non pas seulement d’influencer le pouvoir ; le souci enfin de rechercher un soutien populaire à travers les élections ou de toute autre manière.

Joseph LaPalombara et Myron Weiner, Political Parties and Political Development, 1966 1.

Cette définition présente l’avantage de poser quatre critères qui différencient les partis politiques d’autres types de groupements politiques.

  1. Premier critère : une organisation durable dont l’espérance de vie est supérieure à celle de ses dirigeants. Ce premier critère a un intérêt : la continuité de l’organisation permet en effet de distinguer les partis de simples cliques ou réseaux de clientèle. Les réseaux barristes des élections présidentielles de 1988 en sont un exemple. Dans ce cas, on a assisté à l’essor d’une machine pour l’élection de Raymond Barre mais qui n’a pas perduré. On ne peut donc pas parler de partis.
  2. Deuxième critère : une organisation ramifiée. Un parti doit posséder une organisation complète du centre à la périphérie du territoire où il entend exercer son action. Ce critère permet ici de différencier les partis des groupes parlementaires. La plupart des groupes du Sénat ne recoupe pas le découpage partisan. De même, à l’Assemblée, il existe un groupe de députés non-inscrits 2 : ce n’est bien évidemment pas un parti. Dernier exemple : en 1988 s’est créé un groupe voulant évoluer entre le PS et l’UDF, l’Union du centre 3. Il n’a jamais constitué un parti, quand bien même cela aurait été possible : de nombreux partis d’aujourd’hui ont commencé par être des groupes parlementaires. C’est notamment le cas du Parti Républicain 4 et, créé en mai 1977 et composante principale de l’UDF, dont l’objectif était de transformer la famille libérale, essentiellement représentée par le groupe parlementaire des Républicains indépendants, en vrai parti, ramifié, etc., assimilable à ce qu’est le Parti républicain aux USA 5.
  3. Troisième critère : la volonté d’exercer le pouvoir. Les partis ont pour vocation de conquérir le pouvoir, soit en renversant le système soit en participant à la compétition électorale. Ce critère est primordial dans la mesure où il permet de distinguer les partis des groupes d’intérêts. Un syndicat cherche à peser sur la décision politique, mais il ne cherche pas à s’engager dans la compétition électorale, à l’exception des élections syndicales.
  4. Quatrième critère, enfin : la recherche du soutien populaire. Ce critère est lui aussi important. Il permet en effet de distinguer les partis des clubs et des cercles de réflexion politique mais aussi de beaucoup d’autres organisations (sectes, groupuscules terroristes...). En effet, les clubs représentent généralement des laboratoires d’idées, voire des lieux de sociabilité, c’est-à-dire des lieux où les gens se rencontrent, tissent des réseaux ; ce sont encore des lieux où des agents se socialisent à la politique, acquièrent des compétences, apprennent à débattre, s’informent sur la politique ou apprennent à proposer des programmes. Parfois aussi, ces clubs sont des instruments à l’usage des chefs de courants au sein d’un parti. Ce fut le cas des clubs « Perspectives et réalités » en soutien à Valéry Giscard d’Estaing ou du club « Forum » lié à Michel Rocard. Avant-dernier point concernant les clubs, ils sont souvent à l’origine de la création de partis politiques. C’est le cas des clubs « Perspectives et réalités » pour l’UDF, ou de la « Convention des institutions républicaines » dont François Mitterrand était le leader et qui a participé à la création du Parti Socialiste au congrès d’Épinay en juin 1971. Pour en finir avec les clubs, on peut dire que bien qu’ils travaillent souvent avec les partis, ou qu’ils en sont l’une des composantes, ils ne sont pas des partis pour autant.

Si cette première définition présente des avantages, elle a aussi ses limites.

  • La première tout d’abord : cette définition laisse des cas dans l’ombre. Peut-on dire, en effet, que tous les partis politiques ont pour but de prendre le pouvoir ? Est-ce véritablement, pour prendre un exemple, le but de Lutte Ouvrière 6, le parti de Arlette Laguiller ? Il y a des partis, dont le but est d’influencer le cours des campagnes électorales, de faire entendre des différences dans le débat politique légitime, de faire pression sur les candidats proches mais plus puissants afin qu’ils intègrent des idées et des intérêts jusqu’ici non pris en compte. Ce sont généralement de petits partis, qui font de nécessité vertu. À mesure qu’ils grandissent, leurs buts peuvent changer, comme le montre le cas du Front national. Rien n’indique qu’en 1972, date de sa création, ce parti avait pour but de prendre le pouvoir. Les choses ont semble-t-il changé : le FN se rapproche aujourd’hui d’un parti tout à fait classique. Autre critère qui fait que cette définition laisse des cas dans l’ombre : le critère de la ramification. Que dire des partis locaux ? Des partis en Corse ? Du Parti national écossais 7 depuis ou d’autres encore qui existent en Europe ?
  • La seconde limite de cette définition est qu’elle définit les partis sous l’unique angle de machine électorale. Or les partis ne se réduisent pas à ce statut de machines électorales. Ils peuvent avoir d’autres usages et fonctions sociales (Cf. À quoi « servent » les partis politiques ?).

1.2- Une définition extensive (Max Weber)

Pour Max Weber, un parti est :

Une sociation reposant sur un engagement (formellement) libre ayant pour but de procurer à leur chef le pouvoir au sein d’un groupement et à leur militants actifs de chances — idéales ou matérielles — de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble.

Max Weber, Économie et Société, 1995. 8

La définition présente sans doute certains inconvénients. Elle a tout d’abord le défaut de ses qualités. En donnant une définition plus large des partis, elle rend en effet perméable les distinctions que permet une définition restrictive. Elle rend possible la confusion entre syndicats et partis, alors même qu’ils ne fonctionnent pas de la même façon. Malgré ces inconvénients, cette définition de Weber présente surtout l’avantage de mettre l’accent sur trois éléments essentiels pour comprendre ce que sont les partis :

  1. Premier élément : un parti n’est pas une chose mais une « sociation » nous dit Weber. C’est-à-dire que les partis sont d’abord un type particulier de relation sociale. On peut dire ainsi qu’il en va pour les partis comme il en va pour l’État (qui, on l’a vu, ne marche pas comme un seul homme). Les discours journalistiques ou politiques du type le parti socialiste s’essouffle, les gaullistes se réunissent à Paris, le PC maintient sa position sur la crise yougoslave ou l’UDF est en pleine mutation sont sociologiquement suspects. Ils contribuent à minimiser la diversité des prises de position au sein du parti, à faire oublier que la parole officielle du parti est le fruit de transactions internes qui n’impliquent pas obligatoirement l’adhésion de tous les adhérents à la parole ou aux actes du parti.
  2. Deuxième élément : le parti fonctionne d’abord au profit de ses dirigeants. En insistant sur les profits des dirigeants, cette définition conduit, d’une part, à rompre avec la vision naïve selon laquelle la politique n’est qu’une lutte dont le but est de faire triompher des idées. La lutte politique, rappelle implicitement cette définition, est d’abord une lutte pour la conquête de postes, pour reprendre les mots de Schumpeter. C‘est sans doute là un des moteurs des divisions internes aux partis qu’on observe tout particulièrement lorsque les partis sont au pouvoir. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler l’expérience de congrès explosifs de certains partis ou des tensions qui opposent leurs courants ou composantes internes. L’hypothèse est plus que permise de considérer que ces crises internes des partis proviennent de l’enjeu que constitue, pour des militants et les responsables des partis au pouvoir, l’accession à des postes de responsabilité.
  3. Troisième élément : un parti ne sert pas seulement à obtenir le pouvoir. Pour reprendre la définition de Weber, il a aussi pour but de donner aux militants des chances — idéales ou matérielles — de poursuivre des buts objectifs, d’obtenir des avantages personnels ou de réaliser les deux ensemble. Cette idée est importante dans la mesure où elle souligne que le parti peut faire l’objet d’usages très différenciés de la part de ceux qui s’engagent. En d’autres termes, il y a des façons très différentes de s’engager dans un parti. Ce que font les simples encartés est très différent de ce que font ceux qui sont investis très fortement dans le parti. Les militants cherchent, de plus, à obtenir des avantages très différents (du prestige, le sentiment de répondre à une mission, tisser de nouveaux liens sociaux, s’intégrer dans une communauté, obtenir un poste dans la fonction publique, au sein du parti, être à la recherche de pouvoir pour soi ou pour sa famille, etc.).

2- Origine, différenciation et évolution des partis politiques

Les organisations politiques répondant à la définition que l’on vient de donner du parti se sont constituées au XIXe siècle, souvent sur la base d’organisations antérieures, établies à l’occasion des révolutions nationales (groupes parlementaires anglais, caucus américains, clubs français) mais aussi à tout au long de la révolution industrielle (syndicats ouvriers -> partis ouvriers). Pour condenser cette évolution historique, on peut remarquer qu’en Grande-Bretagne en 1761, aucune élection au Parlement n’était le fait des partis, en 1951, pas un seul candidat indépendant n’a été élu.

2.1- Les partis distingués selon leurs origines et leurs personnels (Maurice Duverger)

Maurice Duverger (Les partis politiques, 1951 9) distingue deux origines des partis politiques : l’origine électorale et parlementaire, l’origine extra-parlementaire.

  • L’origine électorale et parlementaire — Les premiers (les plus nombreux) apparaissent en liaison avec le développement des institutions parlementaires et l’élargissement progressif du suffrage populaire. Plus les parlements voient leur rôle politique s’étendre, plus leurs membres tendent à se grouper par affinité pour agir de concert. Et plus le droit de vote s’étend, plus il devient nécessaire aux candidats de disposer d’une organisation efficace pour se faire connaître et attirer les suffrages. Dans ce parcours, le premier élément constitutif du parti c’est le groupe parlementaire, puis les comités locaux servant de relais aux élus nationaux. Les prototypes historiques de ce type de partis politiques, ce sont les partis conservateur et libéral britanniques issus des groupes Tory 10 et Whig 11dans la seconde moitié du XIXe siècle.
  • L’origine extra-parlementaire — L’autre mode de formation des partis politiques implique une origine extra-parlementaire : une organisation préexistante (syndicale ou associative) dont l’activité propre n’est pas électorale se dote d’une structure spécialisée d’action dans le jeu électoral. C’est typiquement, par exemple, le mode de formation du Labour Party (Parti travailliste) britannique 12 créé en 1900 à l’initiative du Trades Union Congress (Congrès des syndicats 13). Mais c’est aussi : les partis agrariens issus des organisations coopératives ou corporatives agricoles dans les pays scandinaves, les partis chrétiens de droite ou de centre initiés par les groupements religieux du nord au sud de l’Europe et les partis fascistes nés des associations d’anciens combattants en Allemagne ou en Italie.

Une distinction classique et célèbre est celle faite par Maurice Duverger (Les partis politiques, 1951 14) entre les partis de cadre et les partis de masse :

  • Historiquement les plus anciens, les partis de cadre, sont des partis de notables alliant des ressources financières (fortunes personnelles), symboliques (prestige, titres locaux) et relationnelles (milieux d’affaires, loges maçonniques, communautés paroissiales...). Faiblement idéologisés, ces partis sont aussi très décentralisés : ils se présentent sous la forme de confédérations souples de comités locaux et le groupe parlementaire ne connaît pas de forte discipline de vote. On peut citer, au XIXe siècle, le Parti conservateur britannique 15 et, en France, au début du XXe siècle, le Parti radical créé en 1901 16 à partir de comités locaux de notables, d’élus, de clubs et d’associations.
  • Apparus avec le suffrage universel et l’élargissement de la base électorale qui en résulte, les partis de masse apparaissent avec la révolution industrielle et le clivage entre possédants et travailleurs. Les premiers partis de masse sont issus du mouvement ouvrier européen et visent à prolonger sur le plan politique les luttes sociales apparues dans l’entreprise industrielle et la société qui l’entoure. Contrairement aux partis de cadre, les partis de masse sont des partis de militants qui assurent par leurs cotisations le financement du parti. L’activité du parti ne se limite à pas à la période électorale mais se prolonge au-delà avec ses fonctions de socialisation, de formation et d’intégration sociale des adhérents. Ce sont des partis fortement structurés, hiérarchisés et relativement centralisés (cellules de quartier, fédérations départementales voire régionales, comités centraux ou direction au niveau national). Ce schéma général correspond bien au Parti travailliste britannique ou au Parti social-démocrate allemand 17.

Mais Maurice Duverger classait à part les partis américains, partis de cadre n’ayant pas connu la concurrence des partis de masse (communistes, socialistes, fascistes...) mais qui ont dû se transformer sous l’influence de la mise en place des « primaires ». Ils ont une armature plus forte et une organisation plus complète que les partis de cadre traditionnels mais ce sont des partis qui n’existent réellement qu’en période électorale.

2.2- Une typologie historique des partis politiques (Giovanni Sartori)

Giovanni Sartori (Partis et systèmes de partis, 2011 18) propose de dresser une typologie historique des partis politiques qui confirme les analyses de Duverger et précise sa typologie d’un point de vue historique.

Il distingue d’abord les partis d’opinion et de clientèle, forme primitive des partis liés aux tout débuts du régime parlementaire. Il s’agit de réseaux de relations personnelles autour de quelques leaders rassemblant parlementaires, membres de l’entourage familial et agents électoraux qui, localement, n’influencent qu’un petit nombre d’électeurs. Ce sont typiquement les Whigs et les Tories du milieu du XVIIe siècle en Grande-Bretagne.

Ensuite, apparaissent les partis parlementaires, proches des précédents mais plus éloignés de l’amicale et à la recherche d’une organisation minimale. Structurés autour du jeu parlementaire, ils s’attachent à construire des stratégies, former des majorités voire élaborer des plateformes communes. Ce sont les partis américains pendant la plus grande partie du XIXe siècle et les partis italiens d’avant la Première Guerre mondiale.

L’étape suivante est consacrée à la naissance des partis parlementaires électoralistes : leur principale caractéristique par rapport aux précédents est de prolonger leur structuration et leur organisation par réseau d’entités de bases dans chaque circonscription, compte tenu de la forte extension du droit de suffrage dans la deuxième partie du XIXe et au début du XXe siècle. L’exemple des partis britanniques de cette époque illustre cette étape.

Enfin, Sartori note l’apparition, à la fin du XIXe siècle, des partis organisateurs de masse dont l’origine est souvent extérieure au milieu parlementaire (ce qui recoupe l’analyse de Duverger) : Parti travailliste britannique, Parti social-démocrate allemand, belge et scandinave 19, SFIO et partis communistes d’après-guerre.

2.3- Une évolution récente : les partis « attrape-tout »

Cette typologie donne l’impression que chaque type de parti correspond à une période historique et que, tendanciellement, les partis de masse se substitueraient aux partis de cadre. Contre une telle vision évolutionniste des partis politiques, de nombreux observateurs évoquent plutôt une transformation des partis de cadre et des partis de masse vers un modèle qui serait aujourd’hui dominant : celui des partis « attrape-tout » (catch-all parties) que l’on a aussi appelé partis de rassemblement ou partis d’électeurs (Jean Charlot).

Ainsi Otto Kirchheimer The transformation of the Western party systems », Political parties and political development, 1966 20) remarque que le progrès économique et social ainsi que les mutations culturelles ont contribué à atténuer les clivages idéologiques et sociaux tandis que la médiatisation favorise la personnalisation du pouvoir. Dès lors, les partis de cadre se sont adaptés en devenant plus organisés, structurés notamment au plan national (ex. : le centre droit en France), les partis de masse se sont aussi adaptés en devenant plus pragmatiques au fur et à mesure où leur base électorale s’élargit (ex. : Parti socialiste en France). Le parti « attrape-tout » est un parti peu exclusif, nouant des relations avec une grande variété de groupes d’intérêts. Ce qu’il gagne en extension d’audience et en compromis, il le perd en intensité idéologique et en cohésion interne. Le rôle des adhérents devient plus marginal, la filière militante comme mode de recrutement des élites du parti se ferme au profit de recrutements externes (grandes écoles, monde de l’entreprise...).

Les partis « attrape-tout » se développent aussi bien à droite qu’au centre (Démocratie chrétienne en Italie 21 ou en Allemagne 22) ou à gauche (SPD en Allemagne, PS en France). Les partis démocrates-chrétiens et socialistes ou sociaux-démocrates tendent particulièrement à se ressembler en cherchant à mobiliser le maximum d’électeurs, d’origines sociales différentes, grâce à des programmes peu marqués idéologiquement. L’effet de cette évolution est un jeu politique, moins coloré (au sens politique), moins heuristique (au sens où la confrontation doctrinale des partis permettrait aux électeurs de mieux comprendre les enjeux de société) et moins pluraliste (le choix des électeurs se réduit quand les partis deviennent similaires), ces formations évitant de mettre l’accent sur des doctrines ou des programmes trop précis. C’est aussi un jeu politique moins contrasté, notamment dans les systèmes bipartisans (USA, Grande-Bretagne) : les deux grands partis s’efforçant l’un et l’autre d’attirer les électeurs en viennent à se ressembler énormément. Les alternances entraînent moins de changement du point de vue des politiques publiques qui sont menées.

Cette catégorie de parti « attrape-tout » doit être maniée avec prudence : elle décrit une tendance (celle de tous les grands partis à ratisser-large) mais ne permet pas de conclure qu’aujourd’hui tous les partis se ressembleraient. En Europe notamment, certains partis présentent d’autres caractéristiques, occupent certains segments du marché électoral, conservent parfois des ancrages idéologiques forts (partis populistes, parti communistes, partis écologistes...). D’autre part, les partis « attrape-tout » ne se ressemblent pas non plus en tous points : ainsi on a parlé de parti stratarchique (Samuel J. Eldersveld) pour désigner les partis américains qui se caractérisent par une très forte autonomie des entités territoriales du parti à chaque niveau de gouvernement (localité, États fédérés, État fédéral).

3- À quoi « servent » les partis politiques ?

Les partis politiques ont souvent été analysés dans une perspective fonctionnaliste sans que l’utilisation de celle-ci soit toujours rigoureuse. Mais les multiples efforts de construction de typologies raisonnées des « fonctions » de partis politiques, par certains auteurs, permettent d’éclairer la place des partis dans les sociétés démocratiques.

3.1- « Fonctions manifestes » et « fonctions latentes » (Robert Merton)

Une distinction classique établie par Robert Merton (Élément de théorie et de méthode sociologique, 1953 23) entre les fonctions manifestes et les fonctions latentes des partis politiques. Par ces deux types de fonction, les partis politiques concourent à la stabilité du système politique.

Les fonctions manifestes, chez Merton, sont celles qui sont comprises et consciemment assumées par les participants ; on peut en distinguer au moins trois types :

  • une fonction programmatique — le parti assure la définition et l’exposition des positions politiques. Il participe ainsi à la formation de l’opinion par la présentation aux électeurs d’un ensemble d’options politiques et l’animation permanente du débat politique ;
  • une fonction de sélection — le parti assure le recrutement du personnel politique — ou au moins, aujourd’hui, d’une partie de ce personnel — par la désignation des candidats aux élections et aux responsabilités gouvernementales ;
  • la fonction d’encadrement — le parti coordonne et contrôle l’action des élus notamment à travers les groupes parlementaires.

Les fonctions latentes restent en quelque sorte implicites et ne correspondent pas forcément à des finalités volontairement poursuivies par les acteurs sociaux, même si cela peut parfois être le cas. Exemples de fonctions latentes :

  • Les partis politiques ont une fonction de socialisation politique en apportant aux militants et aux sympathisants des connaissances, des informations, des argumentations sur les affaires publiques, c’est-à-dire une formation intellectuelle susceptible d’orienter les comportements politiques, notamment les comportements de vote ;
  • Certains partis, dans certains contextes sociaux, peuvent exercer une véritable fonction d’intégration sociale des individus en offrant un milieu de convivialité, un milieu de vie (ex. : Parti communiste italien dans les campagnes toscanes), une communauté de valeurs et de croyances facilitant les échanges et relations sociales, mais aussi, éventuellement, des possibilités d’ascension sociale (ex. : filière militante de recrutement du personnel politique).

3.2- « Fonction de légitimation », « fonction de relève », « fonction tribunitienne » (Georges Lavau)

Une autre analyse des fonctions de partis politiques fut élaborée par Georges Lavau Partis et systèmes politiques : interactions et fonctions », 1969 24). Elle repose sur une conception selon laquelle les partis politiques, expression du pluralisme politique, en sont aussi des réducteurs nécessaires : ils opèrent des regroupements d’opinion qui évitent l’instabilité et la fragilité d’un trop grand éclatement des intérêts et opinions en présence tout en assurant une expression pluraliste de ces intérêts. Pour répondre à cette exigence d’équilibre du système, les partis remplissent trois types de fonctions :

  • La fonction de légitimation-stabilisation du régime politique est assurée par les partis à différents degrés, du moins ceux — généralement majoritaires — qui soutiennent le régime en place et le considère comme un cadre d’action acceptable.
  • La fonction de relève politique consiste à rendre possible des alternances politiques — les partis politiques, en exprimant des critiques politiques et en proposant des programmes politiques, offrent des alternatives et préparent de nouvelles équipes susceptibles de participer au pouvoir.
  • La fonction tribunitienne (tribuns de la plèbe dans la République romaine 25) assurée par certains partis (partis communiste, partis d’extrême gauche et d’extrême droite) qui, malgré leur opposition au système politique, prennent en charge la défense et la représentation de certaines couches sociales en voie de marginalisation. Georges Lavau fait cette analyse à partir du cas du Parti communiste français (À quoi sert le parti communiste français ?, 1981 26) en montrant comme celui-ci a pris en charge les revendications des catégories sociales les plus défavorisées en leur assurant une représentation politique. En intégrant ces « exclus », le PCF a contribué de façon indirecte à les faire dévier de la virtualité révolutionnaire (opposition communisme/gauchisme).

3.3- Le rôle déclinant des partis politiques

À partir des différentes analyses qui viennent d’être présentées, on peut dresser une liste (non exhaustive) des différentes fonctions manifestes ou latentes des partis politiques et voir, au regard de ces critères, que le rôle des partis dans la vie politique est un rôle déclinant :

  • La structuration du vote : cette fonction est d’ailleurs reconnue par notre Constitution 27.
  • La production d’idées — la production d’une « idéologie », l’élaboration de programmes politiques, l’animation du débat politique. Néanmoins, les partis semblent perdre du terrain sur cette fonction face aux « clubs de réflexion » (proximité / un homme politique), aux « comités d’experts » mais aussi au rôle de la technocratie dans la définition des politiques publiques.
  • Le recrutement politique — en assurant la sélection des candidats aux élections, les partis ont pendant longtemps assuré la sélection du personnel politique et ont fourni le système politique en personnel de direction ; aujourd’hui, la filière militante est tarie dans la plupart des partis de gouvernement et la sélection des gouvernants s’opère souvent en dehors des partis.
  • L’activité de gouvernement — contrôlant formellement le pouvoir politique ou participant à son exercice, ils contribuent en partie au moins à la direction des politiques publiques ; cependant, les études récentes montrent souvent que les élus et membres de partis sont relativement marginaux dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques face au pouvoir des hauts fonctionnaires et des experts de toutes sortes.
  • La socialisation politique — les partis continuent certes à diffuser des valeurs spécifiques dans la société, dans les cercles et réseaux qui leurs sont proches mais, dans les partis de masse, cette fonction de socialisation politique est beaucoup moins importante aujourd’hui qu’elle ne l’était autrefois.
  • La fonction tribunitienne qui fut longtemps l’apanage des partis de gauche et d’extrême gauche tend elle aussi à disparaître avec la réadaptation brutale des partis communistes européens après la chute du mur de Berlin.

Jérôme VALLUY‚ « Segment - Caractéristiques, origines et fonctions des partis  »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI  - Version au 28 mai 2023‚  identifiant de la publication au format Web : 54