Page du plan détaillé


Navigation par niveau


Navigation par tag


Navigation par EDC


navigation par suivi édito



rechercher un contenu


SECTEUR COURANT DU MANUEL > TEDI - Transformations des États démocratiques industrialisés > Jérôme VALLUY    

Segment - Centralisation de l’État-nation

II. En cours d’éditorialisation
D. Rédaction stable pour relecture collective


Dans les sociétés traditionnelles de droit coutumier (ex. : société de Bali au XIXe siècle), non seulement il n’y a pas de centralisation du recours légitime à la force mais, en outre, les individus peuvent relever simultanément de plusieurs réseaux d’allégeance indépendants entre eux, différents selon la nature des tâches à effectuer (religieuses, agricoles, commerciales, etc.) ou bien le statut social ou familial des individus.

Dans les sociétés médiévales d’Occident, la production des normes juridiques est demeurée longtemps non unifiée, variant selon les villes ou les terroirs, et les moyens de coercition restaient l’apanage de pouvoirs locaux (personnels ou collectifs). Les grands seigneurs ou les directoires des villes franches détenaient seuls la double prérogative de lever des troupes armées et de rendre la justice. Les rivalités guerrières entre les seigneurs (au lendemain de l’effondrement de l’Empire carolingien 1) provoquent une concentration du pouvoir au profit des vainqueurs. À l’instar de la concurrence économique, la concurrence militaire généralisée débouche sur des oligopoles inégaux puis sur un monopole au sein d’un espace géographique déterminé. Avec la suprématie militaire, le roi a conquis le contrôle d’une part décisive des terres et du prélèvement fiscal sur la richesse. Les ressources qu’il en tire lui permettent de redistribuer entre ses vassaux pour consolider pacifiquement fidélités et allégeances tout en finançant une armée et une administration qui lui deviennent ainsi subordonnées.

Avec la dissolution progressive des liens de dépendance personnelle qui caractérisait l’organisation politique féodale, l’affirmation du pouvoir royal gomme les liens de suzeraineté (c’est-à-dire la hiérarchie complexe des relations entre seigneurs et vassaux). La guerre de Cent Ans 2, les guerres de religion et la Fronde 3 sont autant de crises qui ont rendu nécessaire de déposséder les provinces d’un pouvoir autonome et d’évacuer les princes, ou les grands du régime, des cercles de décision. À l’issue de ces différentes crises, on a ainsi assisté à l’évacuation des concurrents potentiels et à la mise en place progressive d’une administration dévouée au roi (généralisation des intendants qui tiennent lieu d’antenne locale du pouvoir central). Ce n’est que lorsque les rois d’Occident arrivent à imposer — par les armes — leur autorité symbolique à ces seigneurs, devenant alors leurs vassaux, que la force publique tend à être unifiée. Même s’il n’y a pas unification juridique et administrative dès cette époque, le recours légitime à la coercition se trouve déjà centralisé.

Dans le même temps, on assiste à une diversification sectorielle des institutions politiques et administratives dans la maison du roi (distinction des fonctions domestiques, politiques, militaires puis émergence progressive des conseils consultatifs et des chambres spécialisées) et à la représentation des grands du royaume ainsi que celle des villes auprès du roi. Cette diversification sectorielle semble étroitement liée à l’unification territoriale et à la construction d’une administration plus vaste, nécessaire à l’exercice du pouvoir de plus grands territoires unifiés (elle s’amplifiera avec l’expansion quantitative de l’État au XIXe siècle).

L’unification linguistique des élites dirigeantes est également une dimension essentielle : en France, la fameuse ordonnance de Villers-Cotterêts 4 impose le français comme langue des juridictions et des administrations contre le latin, ce qui affaiblit considérablement les langues régionales, comme l’occitan au sud. Durant les trois siècles suivants, cette centralisation par la langue se renforcera, même si, à la veille de la Révolution, les estimations de la proportion de français parlant cette langue sont bas (un cinquième environ), cette petite proportion correspondant à la classe dominante, aristocratique, marchande et notabiliaire. L’unification linguistique du reste de la population sera un enjeu prioritaire pour les révolutionnaires, autant que la cohésion nationale autour du nouveau régime (sans roi) passant par des politiques d’éducation nationale qui feront émerger le nouveau premier ministère (1824) caractéristique de l’État-providence, le ministère de « l’instruction publique », dont l’objet principal sera d’apprendre à lire et à écrire, ainsi qu’à compter.

Nation, nationalité (par Baptiste Coulmont)

Deux aspects sont à souligner. Le premier aspect est lié à l’histoire : c’est au cours des siècles précédant le xxe siècle que se construisent, voire s’inventent des traditions nationales et que s’unifient des nations, dotées d’un pouvoir central stable et permanent. Peu après la Première Guerre mondiale, Marcel Mauss tente une première sociologie de la nation comme phénomène global, en s’intéressant à la fois à l’organisation politique, à la langue, aux aspects économiques et religieux afin de comprendre l’attachement ou la résonance affective des nationaux à leur nation (perçue comme lieu de l’exercice de la citoyenneté et comme patrie).

Le deuxième aspect est lié à la sociologie comparative. L’État-nation sert alors d’unité comparée, de contexte ou de support aux comparaisons. Durkheim repérait ainsi, à la fin du xixe siècle, que les taux de suicide différaient entre pays et étaient, à court terme, propres à chaque pays. Les comportements des ressortissants étaient différents (les Allemands et les Français n’avaient pas la même propension au suicide). Dans ce cadre, la nationalité n’est pas considérée comme variable explicative : « sous » la nationalité ce sont des « modes de vies » différents qui sont observés.

Plus récemment, la comparaison entre nations a été facilitée par l’unification politique et économique de l’Europe ou la création d’institutions mondiales, productrices de données statistiques.

Baptiste Coulmont, « Nation, nationalité », Sociologie, Les 100 mots de la sociologie, mis en ligne le 01 janvier 2012 - Texte intégral

Jérôme VALLUY‚ « Segment - Centralisation de l’État-nation  »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI  - Version au 19 mars 2023‚  identifiant de la publication au format Web : 46