Page du plan détaillé


Navigation par niveau


Navigation par tag


Navigation par EDC


navigation par suivi édito



rechercher un contenu


SECTEUR COURANT DU MANUEL > TEDI - Transformations des États démocratiques industrialisés > Jérôme VALLUY    

  • Partie - Expansion des objectifs et moyens de l’État
  • Chapitre - Crise ou mutation des États-providence

    L’objet de cette dernière partie est d’apporter un éclairage complémentaire sur la période actuelle et sur les principales tendances sociologiques concernant les relations entre l’État et la société. De ce point de vue, il s’agit d’un simple prolongement chronologique des deux parties précédentes. Cependant, s’il y a lieu de dissocier la période des dernières décennies du cours de l’histoire séculaire des États-providence, c’est parce que cette période est marquée par une controverse de grande ampleur, à la fois durable et internationale, sur le devenir de l’État-providence. On parle couramment, à partir de la fin des années 1970, dans les milieux de spécialistes et dans les mass-médias, de « crise » de l’État-providence.

    Du point de vue de la science politique, l’idée de « crise » de l’État-providence ne peut pas être adoptée sans un examen préalable de ses conditions. Qui parle de cette « crise » ? Avec quels intérêts sociaux et quelles finalités politiques ? Comment se diffuse cette idée ? Fait-elle aujourd’hui consensus ? À cette dernière question, la réponse est objectivement négative. Tout le monde ne s’accorde pas sur l’existence et la réalité de cette crise. Tout le monde ne s’accorde pas sur l’interprétation des évolutions que connaît ce phénomène historique.

    Ce constat, qui sera largement étayé par la suite, amène donc à s’interroger sur la pertinence même du mot « crise ». Peut-on parler de « crise » de l’État-providence ? L’enjeu principal de cette réflexion concerne le sort actuel, et éventuellement le devenir, de l’État-providence. S’agit-il d’une crise de l’État-providence ou d’une crise de la société dans laquelle cette forme d’État intervient ?
    S’agit-il d’une crise qui met en péril l’État-providence ou d’un moment de mutation de cette forme d’État ?

  • Section - Critiques du diagnostic de crise de l’État-providence ?

    Le diagnostic de « crise » de l’État-providence est aujourd’hui largement diffusé et largement dominant dans les modes de pensée des élites économiques, administratives et politiques. C’est aussi devenu un thème extrêmement traité par les sciences sociales.

    Nous avons vu, en introduction du chapitre précédent, que tout le monde s’accordait pour situer cette « crise » de l’État-providence dans la période des trois dernières décennies, c’est-à-dire celle de la crise économique. De ce fait, le problème de la relation entre crise économique et crise de l’État-providence passe au premier plan des enjeux d’interprétation : peut-on interpréter cette crise économique comme symptomatique d’une crise de l’État-providence ? (Cf. Sous-section - La crise économique et crise de l’État-providence)

    Au-delà de cette première interrogation fondamentale, une autre question se pose sur la ou plutôt les significations de la notion de crise de l’État-providence : cette notion fait-elle l’objet d’une définition consensuelle ? La réponse est clairement négative : tout le monde ne parle pas de la même chose en utilisant cette expression et il faut alors s’attacher à évaluer la pertinence de chaque interprétation (Cf. Sous-section - Hétérogénéité et discussion des diagnostics de crise de l’État-providence).

  • Sous-section - La crise économique et crise de l’État-providence

    Si l’on retient une définition large de l’État-providence et que l’on fait remonter ainsi sa genèse au début du XIXe siècle, si l’on considère de surcroît que l’industrialisation à la fin de ce XIXe siècle est très largement avancée, notamment du point de vue de la reconfiguration de l’économie et de la société (agriculture/industriel), on peut constater que les États-providence ont déjà traversé deux grandes crises économiques majeures comparables par leur ampleur à celle que nous connaissons aujourd’hui : la grande dépression de la fin du XIXe siècle, entre 1873 et 1895 (Cf. Segment - La dépression de la fin du XIXe siècle (1873-1895)), et la crise économique des années 1930 (Cf. Segment - La crise de 1929).

Segment - La dépression de la fin du XIXe siècle (1873-1895)

A. En cours de rédaction
I. À éditorialiser


La crise de la fin du XIXe siècle marque une rupture avec les crises qu’a connu l’humanité jusque-là. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, la crise est généralement brève, brutale. Elle est par ailleurs liée, le plus souvent, à un caprice de la nature (inondations, mauvaises récoltes, etc.). Ces événements engendrent une hausse des prix des produits agricoles et une chute des quantités de produits circulant dans le marché. Le résultat d’une telle situation est généralement la pénurie, pour ne pas dire la famine, la hausse de la mortalité et le développement des maladies épidémiques. L’origine de ce type de crise est surtout rurale. Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne touche pas le tissu urbain : la pénurie alimentaire oblige les gens à abandonner leurs besoins moins vitaux (habillement, logement...) pour concentrer tous leurs efforts à l’obtention de ce qui est nécessaire pour survivre. Ainsi, des branches entières de manufactures se trouvent simultanément touchées. La sortie de cette crise est également liée aux caprices de la nature : une bonne récolte réalimente le marché de produits et progressivement rééquilibre les désajustements précédents.

Les crises qui apparaissent à la fin du XVIIIe siècle et durant le XIXe siècle marquent un changement important : leur origine et leur cheminement sont souvent identiques mais leurs conséquences sont différentes. La principale différence à la formation d’un secteur industriel important. La crise agricole devient aussi une crise manufacturière qui génère un chômage massif avec des conséquences sociales plus graves pour les milieux populaires urbains, démographiquement plus denses et plus dépendants du marché du travail. Autrement dit, la crise, principalement agricole jusque-là, se double d’une crise industrielle, et l’on parle de « crises mixtes » pour les distinguer des crises traditionnelles. Ces crises mixtes caractérisent le tournant des XVIIIe et XIXe siècles et la dernière crise de ce type est celle de 1845-1846 qui débouche sur des révoltes politiques (1848) et déstabilise le régime en place.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la coupure entre secteur agricole et secteur industriel est achevée et surtout ce n’est plus l’agriculture qui constitue le principal facteur de déstabilisation.
Les crises ont de plus en plus des origines industrielles et financières : difficultés liées à l’écoulement des produits industriels, krachs boursiers ou faillites bancaires. Les « crises modernes » remplacent les « crises mixtes ». Leur caractère industriel et financier n’est pas la seule caractéristique des crises modernes :

  • Il s’agit aussi de crises transnationales (comme une marque d’une nouvelle forme de mondialisation), ce qui est lié au fait que, depuis cette période, est mise en place une économie d’échanges entre pays industrialisés, ce qui les rend interdépendants.
  • Et il s’agit aussi le plus souvent de crises de longue durée.

La grande dépression peut être divisée en trois périodes dont chacune atteste déjà d’une forme de mondialisation (!) des économies nationales et des interdépendances qui se nouent entre ces économies, interdépendances de plus en plus denses et affirmées (accord de libre échange entre la France en la Grande Bretagne en 1860).

1873-1876. En 1871-1873, on enregistre une série de krachs qui se répercutent d’un pays à l’autre : l’effondrement des bourses allemandes, suivi de faillites des banques autrichiennes, effondrement de la banque britannique, crise de l’économie française et italienne.

1882-1886. Après une courte période de reprise, les mêmes causes produisent les mêmes effets : spéculations boursières, faillites bancaires accompagnées cette fois-ci de problèmes agricoles. Ayant développé la technique des chambres froides, les États-Unis commencent à exporter leur produits agricoles en Europe avec des prix très inférieurs aux prix européens.

1890-1895. Encore une petite période de reprise et nouvelles faillites après 1890 avec fragilisation d’importants secteurs industriels comme la métallurgie, la mécanique et les chantiers navals. À ce moment là la crise se transforme essentiellement en une crise industrielle.

L’explication de cette crise n’est pas facile à résumer. Une part d’explication, qui nous intéresse plus ici, est liée au fait que, durant cette période, de nouvelles formes de marchés sont en train de se mettre en place (marchés financiers et industriels). Le changement de contexte augmente l’incertitude des agents socio-économiques qui maîtrisent de plus en plus mal les effets de leurs actions. Une fois la crise arrivée, elle prend une forme nouvelle que, ni les économistes, ni les dirigeants ne savent analyser et maîtriser. Erreurs d’appréciation et réactions erronées perpétuent la tendance dépressive et donc la crise.

Jérôme VALLUY‚ « Segment - La dépression de la fin du XIXe siècle (1873-1895)  »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI  - Version au 25 mai 2023‚  identifiant de la publication au format Web : 151