}Une politique publique est un processus social complexe qui ne se présente jamais sous la forme d’un déroulement linéaire et rationnel. C’est pourtant une idée fermement ancrée dans l’esprit des gens, que l’on retrouve implicitement dans les propos et analyses improvisées des commentateurs de l’actualité politique. Cette idée fausse a même été modélisée par un chercheur américain, Charles Jones 1. Dans sa version vulgarisée (Cf. manuels de science politique), ce modèle décrit un déroulement en cinq séquences :
- On identifie un problème (connaissance).
- On réfléchit à ses solutions (alternatives).
- On prend une décision (arbitrage).
- On met en œuvre cette décision (exécution).
- On évalue ses effets (réflexion).
La sociologie des politiques publiques, notamment dans les années 1980 et 1990, a montré très amplement à quel point cette conception de « bon sens apparent » est une conception fausse de la réalité.
On peut illustrer cela à partir du cas de la lutte contre le chômage en s’inspirant de Philippe Garraud 2 qui parle de « bricolage institutionnalisé » pour caractériser les politiques de l’emploi :
- Bricolage statistique qui conduit à un taux officiel de chômage de plus en plus restrictif et irréel du fait des redéfinitions périodiques qui permettent d’exclure de plus en plus de personnes de la comptabilité du chômage.
- Bricolage organisationnel dont témoignent les incessantes transformations des structures du ministère du Travail et de l’ANPE, la multiplicité des intervenants étatiques dans les politiques de l’emploi et la rotation rapide des nouveaux dispositifs de lutte contre le chômage.
- Bricolage politique tant les priorités et les objectifs successifs sont flous, voire contradictoires, en tout cas si nombreux (baisse à court terme, réinsertion professionnelle, prise en charge des chômeurs, etc.) qu’il devient difficile d’identifier celui ou ceux qui guident principalement l’action publique.
Pour Philippe Garraud, les politiques de lutte contre le chômage constituent ou participent des “anarchies organisées” décrites par J. March et J.P. Olsen. (...) L’anarchie naît du grand nombre d’acteurs impliqués ; de la diversité des intérêts institutionnels et organisationnels en présence ; de la différenciation des objectifs propres comme de l’inégale mobilisation des acteurs ; de l’indéfinition relative des tâches et des rôles de chacun : de la segmentation de l’action publique en dispositifs tout autant concurrents que complémentaires ; du développement de relations de partenariat et de la faiblesse de la coordination ; etc 3.
Le mode classique de présentation des politiques de lutte contre le chômage consiste à les distinguer suivant leurs finalités : les politiques passives et les politiques actives. Sont classés comme passifs les dispositifs de traitement (social ou statistique) du chômage qui ne sont pas destinés à augmenter l’emploi. Au contraire, les mesures actives visent à agir sur le niveau de l’emploi. Essentiellement traditionnelle, cette classification reste sommaire et discutable.
Jérôme VALLUY‚ « Introduction - Sous-section - Les politiques de la lutte contre le chômage »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 17 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 140