Une série de critiques portent sur la classification et donc sur les indicateurs retenus qui conduisent à cette classification. On a reproché à l’auteur de ne prendre en considération, par exemple, que l’indemnisation en cas de maladie mais non le système de santé dans son ensemble et d’occulter ainsi que le Canada, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande disposent d’un système de santé public quasi-gratuit et de haut niveau. À partir de ce type de critique, l’idée d’un modèle « scandinave » d’État-providence a été contesté comme une forme de suédo-centrisme : le modèle s’appliquerait particulièrement mal à la Finlande et serait partiellement trompeur concernant les autres pays nordiques en particulier le Danemark. De même, ont été contestés les rapprochements entre la France et l’Allemagne ainsi qu’entre le Canada et les États-Unis. Toutes ces critiques me semblent d’inégales portées : certaines oublient un peu le regard d’ensemble qui caractérise ce modèle d’Esping-Andersen en se focalisant sur des différences internes à chaque type qui ne remettent pas en cause la pertinence du type. Pour prendre une comparaison plus connue : les régimes constitutionnels de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne sont certes très différents mais entrent bien tous deux dans le même type, celui du régime parlementaire.
Une critique plus incisive est celle de Francis Castles 1 qui observe que l’indice synthétique de démarchandisation n’intègre pas les taux d’imposition et le degré de progressivité des impôts et ne prend pas en compte certains dispositifs redistributifs au sein des politiques sociales : ainsi l’Australie et la Nouvelle-Zélande se trouvent classés très bas parce que nombre de droits sont offerts sous condition de ressources alors que cette condition varie selon le niveau de revenu et vise moins à contrôler les plus pauvres qu’à interdire aux plus riches de bénéficier de ces droits.
Enfin, une autre critique a conduit à dissocier les pays d’Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce). Maurizio Ferrera 2 met en évidence la difficulté à classer les États de l’Europe du Sud dans la catégorie des États-providence conservateurs-corporatistes. Ces pays se caractérisent en effet sur le plan social par l’existence de systèmes de garantie de revenu d’inspiration bismarckienne assez généreux et segmentés, mais aussi par une absence traditionnelle de protection minimale de base. Pour résumer, les travailleurs salariés disposent d’avantages sociaux considérables (ex. : retraites) alors que les personnes faiblement intégrées à la société salariale ne peuvent compter que sur les réseaux familiaux, qui jouent un rôle beaucoup plus important qu’au nord, et sur le secteur informel, le marché noir y étant aussi beaucoup plus développé. Par ailleurs, ces pays possèdent tous, à des degrés divers, un système sanitaire national à vocation universelle. Et d’autre part, ils se caractérisent par une structure étatique peu différenciée (/ société civile) facilement manipulable par les groupes d’intérêt avec des pratiques de clientélisme et de corruption quasiment institutionnalisées. Toutes ces caractéristiques communes suffisent à établir l’existence d’une quatrième modèle d’État-providence.
Jérôme VALLUY‚ « Segment - La critique des regroupements de pays »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 9 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 115