Pendant longtemps, la sociologie comparative des États-providence a porté essentiellement sur la comparaison des montants de dépenses publiques. Le niveau des dépenses sociales était alors considéré comme le meilleur indicateur de l’effort étatique en faveur du bien-être social. Cette démarche permettait alors de classer les pays sur une échelle de bien-être et de faire ressortir les corrélations entre développement économique et développement social.
Cette approche a longtemps été dominante d’abord du fait d’une croyance largement partagée en un phénomène de convergence internationale sous-tendu par le développement économique : tous les systèmes de protection sociale tendraient à se ressembler au fur et à mesure du développement économique. Les études historiques, récentes, sur les voies empruntées par l’État-providence dans divers contextes culturels nationaux ont largement invalidé une telle croyance.
Une autre approche très classique consiste à distinguer des logiques de protection sociale. Deux grandes logiques sont bien connues : la logique bismarckienne et la logique beveridgienne.
- Logique bismarckienne : l’assurance sociale est adossée au travail salarié fondant la protection sociale sur la solidarité professionnelle. Les prestations sociales sont la contrepartie des côtisations sociales, c’est-à-dire d’un pourcentage du revenu professionnel.
- Logique beveridgienne : la solidarité est nationale et ouverte à tout individu, sans référence à l’activité professionnelle pour justifier du bénéfice d’une protection sociale. Le droit à la protection sociale découle non pas de l’activité professionnelle mais de la citoyenneté. Les prestations sociales sont la contrepartie de l’impôt, ce qui permet à tous de bénéficier des mêmes prestations.
Plus récemment, la sociologie comparative a progressé en élaborant des modèles plus complexes associant plusieurs critères d’analyse. Ainsi la typologie de Guy Perrin 1 prend en compte quatre éléments de comparaison des États :
- le degré de généralisation de la protection sociale (étendue des risques couverts) ;
- le degré d’universalité de la protection sociale (tout le monde y a-t-il droit ?) ;
- le degré d’uniformité des prestations sociales (tout le monde reçoit-il la même chose ?) ;
- le degré d’unicité des structures de protection sociale (une seule structure de gestion ou bien une multiplicité par secteurs professionnels ?).
À l’aide de ces critères, il distingue trois types d’États-providence :
- Le modèle national unitaire, caractéristique des pays anglo-saxons et des pays scandinaves, généralise la protection sociale à l’ensemble de la population. Universalité d’application, uniformité des prestations et unicité des structures.
- Le modèle professionnel unitaire généralise la protection sociale à l’ensemble des citoyens sans exigence de cotisations préalables mais fait dépendre les prestations sociales des revenus antérieurs. Une structure unique gère le système.
- Le modèle professionnel pluraliste, dont la France offre un exemple, généralise la protection sociale à l’ensemble de la population mais dans le cadre de régimes professionnels multiples de protection sociale. Il n’y a donc ni uniformité des prestations sociales ni unicité des structures de gestion.
Le premier modèle rappelle assez fortement la logique beveridgienne de la protection sociale, et les deux autres une logique bismarckienne de protection fondée sur la communauté professionnelle, version germanique pour le modèle unitaire et française pour le modèle pluraliste, cette dernière reflétant la puissance des corporations professionnelles suffisamment fortes pour conserver le maintien de régimes sociaux non unifiés. Néanmoins cette comparaison des logiques et des modèles de protection sociale reste rudimentaire pour décrire les types d’États-providence notamment parce qu’elle s’adosse à une définition restreinte du phénomène social « État-providence ». L’œuvre majeure de Gosta Esping-Andersen (Les trois mondes de l’État-providence - Essai sur le capitalisme moderne 2) fait franchir un cap décisif à la recherche internationale dans ce domaine en montrant qu’il y a lieu de distinguer des régimes d’État-providence
Jérôme VALLUY‚ « Introduction - Section - Trois régimes d’État-providence (Esping-Andersen) »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 9 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 107