Le libéralisme prédomine intellectuellement au début du XIXe siècle, notamment dans les cercles universitaires et les principaux ouvrages théoriques sur l’économie. Benjamin Constant (1767-1830), théoricien du libéralisme politique, se trouve en affinité avec les théoriciens du libéralisme économique qui prône un État-minimal. Jean-Baptiste Say (1767-1832), dans son Cours complet d’économie politique pratique 1, précise cette conception :
À parler rigoureusement, la société ne doit aucun secours, aucun moyen de subsistance à ses membres. En se réunissant à l’association, en lui apportant sa personne, chacun est censé lui apporter ses moyens d’existence. Celui qui se présenterait à elle sans ressources serait obligé de les réclamer d’un autre membre de la société, celui-ci pourrait demander à connaître le titre en vertu duquel on lui impose cette charge et il serait impossible de le lui montrer.
Plus tard, Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916), théoricien reconnu du libéralisme économique, mène une critique virulente contre l’État interventionniste :
Organisme pesant, uniforme, lent à concevoir et à se mouvoir, il est propre à certaines tâches générales. La faculté inventive, le don de l’adaptation rapide lui manquent. Les progrès humains et sociaux (...) c’est l’initiative libre des individus, des associations ou du milieu social plastique qui les a effectués. L’État n’est pas le cerveau de la société ; il n’a aucun titre, aucun mission pour la diriger et lui frayer la voie.
Pour des précisions sur ce paradigme, cf. Segment - Le paradigme libéral.
Mais le libéralisme économique ne saurait être réduit à ces positions théoriques pour deux raisons :
- D’abord parce que l’on trouve chez d’autres théoriciens libéraux, et non des moindres, des justifications de certaines interventions — il est vrai limitées — de l’État.
Ex. : Adam Smith lui assigne ledevoir d’ériger et d’entretenir certains ouvrages publics et certaines institutions que l’intérêt privé d’un particulier ou de quelques particuliers ne pourrait jamais les porter à ériger ou entretenir, parce que jamais le profit n’en rembourserait la dépense (...) 4
- Ensuite parce que le libéralisme économique est exprimé également dans des milieux d’affaires beaucoup plus enclins à des formes de pragmatisme. Ces milieux pèsent lourdement, dès le début du XIXe siècle, en faveur d’interventions protectionnistes, en faveur de la prise en charge d’infrastructures ferroviaires nécessitant des investissements initiaux particulièrement lourds et, également, en faveur de formes de charité préventive relevant de ce que l’on va appeler le patronage afin d’éviter des interventions directes de l’État dans les affaires économiques. D’une manière générale, les milieux patronaux sont tendanciellement favorables à toute diminution des coûts de production par financement public de charges latérales : infrastructures de transport nécessaires aux approvisionnements en matières premières et à la distribution commerciale des produits manufacturés, système scolaire de formation d’une main d’œuvre qualifiée au moins, en cette période, pour la formation des ingénieurs et pour l’encadrement des établissements industriels... C’est, pour une part, ce phénomène que stigmatiseront les marxistes en parlant de l’État-providence comme « béquille du capitalisme » et face à cette inclination étatiste du libéralisme économique patronal, ce pragmatisme des affaires, le néo-libéralisme radical et théorique qui s’exprime par exemple à la Sorbonne ne fait guère le poids dans les processus de politiques publiques.
Jérôme VALLUY‚ « Segment - Libéralisme(s) »‚ in Transformations des États démocratiques industrialisés - TEDI - Version au 9 mars 2023‚ identifiant de la publication au format Web : 104